Le paravent

C'était une de ces soirées d'hiver, de celles qui semblaient transformer vos membres en verre soufflé qui se briserait au moindre choc. L'air était sec et piquant, les rares derniers passants en cette heure si tardive avaient les joues rougies et boursouflées. J'errais sans but avec un sentiment de tension et de mal être. Le ciel était lourd de nuages tout blancs mais la neige se refusait à tomber. Cela ne faisait qu'amplifier mon air maussade. Il me restait encore approximativement 100 m avant d'atteindre la jetée mais je n'avais pas envie de planifier la suite de mon escapade car en réalité je n'avais aucunes idées de la suite des événements. J'avais plutôt peur d'arriver jusqu'à cette jetée, de me rendre compte que je n'allais nul part, que je ne savais pas quoi faire, qu'aucun projet ne me donnait en envie de continuer.

Je me suis assis sur le trottoir, me prétextant à moi-même que je n'aimais pas fumer en marchant. Alors j'ai sorti une cigarette. Les lampadaires se sont éteinds. Je ne distinguais même plus l'angle ou j'allais tourner pour voir la mer. A vrai dire, je ne voyais plus rien hormis le foyer de ma cigarette. Je n'avais même pas envie de fumer.

D'un seul bond, je me suis levé, j'ai écrasé ma cigarette. Et puis j'ai marché les derniers mètres à taton, fermant les yeux quelques secondes avant d'arriver à l'angle. Puis je me suis arrêté, toujours les yeux fermés, j'ai soufflé puis j'ai ouvert les yeux. 

Je ne sais plus ce qui c'est exactement passé car ma mémoire est confuse. J'ai du me trompé d'angle, il devait y avoir une ruelle que je n'avais pas distingué de loin. J'ai du tourné trop tôt. Ce sont les seules explications plausibles que j'ai trouvé, mais au fond de moi, je suis persuadé que la rue était droite et qu'il n'y avait qu'une seule issue.

Mais peu importe. J'étais là. Devant ce spectacle extraordinaire. C'etait comme une explosion de douceur dans ma poitrine, un souffle de douceur sur mon âme. Il y avait une fenêtre basse que j'aurais pu enjambé. De toute la ruelle, seule celle ci était habitée d'une lumière. C'était une douce lumière tamisée, qu'on réserve généralement aux moments intimes. A l'intérieure, je distinguais une voûte en pierres anciennes et un paravent.
Jamais je n'avais aperçu quelque chose de si attrayant, personnel, presque interdit.
J'avais l'impression que quelqu'un se trouvait derrière ce paravent, qu'on m'attendait. Je voyais le bout du tunnel, cela réchauffait mon coeur. J'avais comblé ce vide qui m'animait, rien que par cette vision.

Alors, sans réfléchir, sans hésitation j'ai forcé la fenêtre , qui avait l'air plutôt vielle, avec une aisance presque surnaturelle, et je suis entré.